Colloque interdisciplinaire ConCoRD-SHS

Conditions et contraintes de réalisation des doctorats en sciences humaines et sociales

Paris, 13-14 janvier 2025

Contexte

Le projet ConCoRD-SHS, porté par des partenaires de différentes universités, disciplines et laboratoires, interroge la réalisation des doctorats en sciences humaines et sociales (SHS). Qu’est-ce qui permet, contraint, conditionne ou détermine la recherche en doctorat ? Nous pensons la contrainte de manière large, qu’elle soit d’ordre pratique (financement de la recherche, dépendance financière, ressources matérielles, précarité…) ou symbolique (positionnement scientifique, exigences théoriques du laboratoire ou de l’encadrant·e de la thèse, …). Ces deux dimensions se combinent, et renvoient à des éléments objectivables (formation doctorale, évaluation…) ou subjectifs (perception par les doctorant·es des attentes liées à leur travail et au recrutement, de la définition de ce qui fait la qualité de la recherche…).

Pour comprendre les conditions de réalisation des doctorats en SHS et leurs effets, nous nous intéressons aux dispositions des doctorant·es, à leurs origines et à leurs trajectoires sociales, ainsi qu’aux conditions matérielles de travail et d’emploi, et aux socialisations professionnelles. À l’heure où les modalités de financement et d’emploi scientifiques évoluent, nous interrogeons comment se produit le “bon doctorat”, en termes de formation des chercheur·euses, d’excellence scientifique, et de relations science/société.

En effet, les travaux sur le doctorat prennent souvent la forme de témoignages individuels ou d’enquêtes partielles, et sont plutôt réalisés dans un contexte mono-disciplinaire ou par une approche localisée. Au-delà de la session thématique organisée lors du congrès de l’Association française de sociologie en 2023, le projet ConCoRD prend la suite de plusieurs efforts de recherche qui souhaitaient adopter une approche collective sur la production de la recherche en doctorat, par exemple dans le cadre des Cifre dans différentes disciplines en SHS (de Feraudy et al., 2021), les contraintes associées à différents contextes (“La recherche sous contraintes”), les situations de précarité financière ou les conditions d’encadrement et difficultés rencontrées par les directeur·trices.

S’il est ouvert à des terrains comparatifs, ce colloque se concentre sur les SHS. On peut relever d’une part que les doctorats y sont plus longs et moins souvent financés qu’en sciences de la matière, et d’autre part que les financements partenariaux et sur projets entrent davantage en contradiction avec leurs usages professionnels et cultures épistémiques. A notre sens, cela fait des SHS un laboratoire particulier pour la diversification des formes de production de la recherche comme de ses conditions de possibilité (financements, accès aux terrains, modalités de publication…) et de son apprentissage (encadrement, socialisations…).

Appel à communications

Axe 1. Emplois, financements et production de la recherche. 

Les conditions de réalisation des doctorats semblent évoluer rapidement, dans leurs dimensions matérielles comme symboliques. Alors que la privatisation du financement et de l’encadrement des thèses est encouragée (de Feraudy et al., 2021), on remarque aussi une inflexion dans le sens donné au diplôme de doctorat, centré sur l’excellence et l’esprit d’entreprendre (Frances, 2013). Les conditions de production de la recherche en doctorat dépendent par ailleurs de phénomènes plus larges qui touchent l’enseignement supérieur et la recherche, et qui ont un impact notamment sur les conditions d’emploi : baisse des financements structurels, généralisation d’un mode de fonctionnement « par projet » (Barrier, 2011), mutations des lieux d’enseignement et de recherche liées à la concentration universitaire (Musselin, 2017) mais aussi au contexte de (post)pandémie, nouvelles contraintes politiques et matérielles pesant sur l’indépendance de la recherche (voir notamment le dossier “Le Procès des données”, Genèses, 2022/4, n°129). La baisse du nombre de postes pérennes (ANCMSP, 2022, p. 31) explique-t-elle à elle seule la baisse du nombre d’inscriptions en doctorat (SIES, 2023) ? Plus largement, comment les évolutions du milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans différents pays, affectent les conditions de réalisation des doctorats et la recherche produite ?

La question épistémologique de ce que les conditions de production de la recherche font à la recherche produite est une question centrale de la sociologie des sciences, ayant particulièrement été abordée dans un premier temps par des analyses sur archives (Shapin & Schaffer, 1985) et des ethnographies de laboratoire (Latour & Woolgar, 1979 ; Knorr-Cetina, 1981 ; Traweek, 1988). Ces recherches séminales se concentrent néanmoins sur le travail des chercheur·ses titulaires de sciences expérimentales. Trop peu de travaux se sont intéressés aux autres catégories de personnels, doctorant·es comme technicien·nes et ingénieur·es (Waquet, 2022). Or, l’objectivation participante (Bourdieu, 2003) à laquelle se soumettent parfois individuellement les chercheur·ses ne permet pas de faire l’économie d’enquêtes dédiées. La reconnaissance d’une hétéronomie presque intrinsèque à la production des savoirs (Bensaïd, 2009) oblige à s’interroger sur les formes, visibles ou non, conscientes ou non, d’imposition de cadres de pensée et d’épistémologies par les différentes acteurs et actrices impliqué·es dans et concerné·es par la recherche en sciences humaines et sociales.

La question des formes de financement, en particulier, mérite d’être repensée. Quelles conséquences entraînent les différentes sources de financement pour la production du doctorat ? De nombreux travaux, principalement monographiques, analysent la situation des chercheur·ses en situation de « recherche embarquée » (Blondiaux et al., 2016 ; Alam et al., 2012), ou financé·es par des organisations ou « partenaires » externes à l’ESR. Le séminaire et la journée d’études « La recherche sous contraintes », organisés entre 2020 et 2022, ont notamment montré la diversité des manières dont les expériences-frontières de recherche-action peuvent faire l’objet de stratégies de valorisation diverses, elles-mêmes contraignant l’action des chercheur·ses ; souligné les spécificités des contextes de réalisation de la recherche en termes d’inscription organisationnelle (entreprises traditionnelles ou start-ups, associations et fondations, institutions politiques et administrations…) ; esquissé les contraintes et apports des différentes méthodes d’enquête dans ces contextes ; et bien entendu analysé les positions des chercheur·ses face à leur objet (notamment dans le cas d’engagements militants). Il semble cependant qu’il reste une ligne de démarcation entre, d’une part, les travaux produits par des chercheur·ses titulaires, se concentrant sur les relations science-société et les effets théoriques de ce type d’inscription dans le terrain permise par le financement hors ministère, et, d’autre part, les travaux produits par les doctorant·es et docteur·es sans poste, en particulier ayant fait l’expérience de la Cifre, qui insistent sur les formes de dépendance et les tensions entre identités professionnelles qui ont un impact sur la réalisation de la recherche.

Par ailleurs, ces deux types de travaux semblent tenter, plus ou moins consciemment, d’intégrer au métier de chercheur une évolution tenue pour inéluctable. Les chercheur·ses ont tendance à déployer un discours de justification qui présente les difficultés rencontrées comme des obstacles heuristiques aboutissant finalement à l’accès à des données ou à un résultat défini comme différent. Cette différence est cependant peu définie : elle fait des autres formes de financement de la recherche, pensées en négatif comme « sans contraintes » ou servant de point neutre, des formes d’entrée sur le terrain moins déterminées par le souci de prouver l’objectivité de l’enquêteur·rice et de la production des données. Ainsi, alors qu’un travail réflexif sur une recherche financée par le secteur privé prend nécessairement en compte, voire se centre sur les effets du financement, les très nombreux travaux réflexifs des chercheur·ses sur le terrain évacuent presque entièrement ce que le financement (public) fait à leur recherche, et ce alors que les contrats doctoraux universitaires ou sur projets ont également subi des évolutions. Enfin, les situations de thèses mal nommées comme « non-financées » sont également peu analysées dans ce que les conditions matérielles d’existence des individus, mais aussi leurs inscriptions scientifiques et organisationnelles, font à leur travail de recherche.

Il s’agit donc, au-delà des enquêtes sur les situations de recherche “partenariale”, de s’intéresser aux différentes modalités de financement d’un doctorat, pour rapprocher la réflexivité nécessaire du fait de l’engagement du chercheur ou de la chercheuse sur le terrain de celle qui résulte de contraintes spécifiques liées au statut des chercheur·ses, à leurs inscriptions organisationnelles et scientifiques. Il s’agit également de s’intéresser spécifiquement au doctorat pour comprendre ce que ce statut, dans la diversité des formes qu’il prend, fait à la recherche et à la formation des chercheur·ses. Nous invitons donc à proposer des communications répondant aux questions suivantes :

– Comment les contraintes générales pesant sur le milieu de l’ESR façonnent-elles le statut spécifique des doctorant·es, les plaçant dans une position d’incertitude et de domination, voire de souffrance (Poulin, 2022) ? Observe-t-on une spécificité des SHS, dont les résultats seraient plus à même d’être remis en cause ou en discussion (Perrin-Joly, 2010, §36) ? 

– À quelles conditions et dans quels contextes (historiques, disciplinaires, etc.) les doctorant·es peuvent-ils et elles être considéré·es comme des professionnel·les de la recherche (Verschueren, 2017 ; Picard, 2020), ou a contrario comme des étudiant·es ? La transformation des bourses en contrats de travail octroie-t-elle davantage le statut de professionnel·les aux doctorant·es ?

– Quels sont les moyens et ressources dont disposent les doctorant·es (lieu de travail, matériel, financement pour des déplacements, formations…), en fonction de leurs conditions d’inscription dans le milieu ? Observe-t-on des différences entre pays, établissements, laboratoires, disciplines ?

– Comment analyser les contraintes, matérielles, symboliques et scientifiques, qui pèsent sur la production de la recherche en doctorat, dans différentes situations de financement (allocation, contrat, Cifre ou contrat doctoral privé, financement personnel…) et d’inscription académique et professionnelle ?

– La question de la précarité en doctorat : comment relire la définition de la précarité pour y intégrer plusieurs dimensions (financière, sanitaire, sociale…), et qu’est-ce qu’apporte le fait de varier les formes d’enquête et les sources de données (enquêtes locales, Observatoires de la vie étudiante, ADUM, entretiens et focus groups…) ?

– Comment objectiver la situation des doctorant·es-chômeur·ses, comment vit-on avec le chômage en doctorat (contraintes financières et morales, gestion du risque, contrôles…) ? Quelles sont les représentations et pratiques des laboratoires, écoles doctorales et directions de thèse : la période de chômage est-elle l’un des moyens de terminer une thèse ? Comment l’institution Pôle emploi/France Travail traite-t-elle les doctorant·es et docteur·es sans poste ? Et quelles sont les conséquences de faire une partie de sa thèse au chômage sur la poursuite de la carrière ?

– Comment tenir ? Peu d’enquêtes arrivent à objectiver ce qui se passe après le doctorat et avant ce que les enquêtes nationales nomment “l’insertion professionnelle”. Quelles stratégies les docteur·es mettent-iels en place, avec quelles ressources et quelles représentations (deux figures récurrentes étant le récit professionnel de la file d’attente du recrutement et la reconversion opérationnelle) ? Comment prendre en compte les périodes « post-financement » qui caractérisent souvent les fins de thèse, et les modes de financement ponctuels (bourses de fin de thèse, de terrain, etc.) (Wollin-Giering, 2024) ?

Axe 2. Le métier de doctorant·e : conditions de travail et activités de recherche

De nombreuses enquêtes, notamment institutionnelles, s’intéressent aux conditions d’emploi des doctorant·es, ou plus précisément, à leurs carrières et leurs trajectoires, avec une très forte concentration sur l’insertion professionnelle des docteur·es (Calmand, 2020). Penser le doctorat à partir des activités concrètes suppose d’adopter un cadrage plus proche de la sociologie du travail. Entre 2019 et 2020, des doctorant·es et docteur·es ont mené une enquête sur les trajectoires, les conditions de travail et les modalités de production de la recherche en Cifre en sciences humaines et sociales (de Feraudy et al., 2021). Leurs résultats montrent que les doctorant·es font face à des contraintes en termes de dépendance matérielle vis-à-vis de leur employeur et de distance au monde académique. L’enquête tente aussi de définir, de manière quantitative, quelles sont les activités concrètes derrière la production d’un doctorat et comment s’organise l’emploi du temps de la thèse. Enfin, elle montre que les doctorant·es ont des capacités inégales à répondre aux injonctions qui pèsent sur leur travail, ou pour le dire plus simplement, un pouvoir inégal de négociation, en fonction notamment de leurs trajectoires professionnelles et académiques et de leur socialisation aux codes de ces différents mondes, qui leur permet – ou non – de disposer d’une marge de manœuvre, de faire jouer un financeur contre un autre, ou encore d’arbitrer entre une publication “one shot” et le maintien de l’accès au terrain de l’employeur (Surubaru, 2022).

L’objectif des auteur·rices du rapport était notamment de se demander si on pouvait considérer la Cifre (l’une des modalités principales de réalisation de thèses avec un financement privé) comme une thèse « comme une autre ». Ceci pouvait signifier : y a-t-il une différence de profil entre les doctorant·es embauché·es sous cette modalité par rapport à la population générale ou à d’autres types de financement ? La recherche produite en Cifre et les chercheur·ses produit·es par la Cifre sont-ils comparables aux produits d’autres modalités de réalisation des doctorats ? Une Cifre forme-t-elle aux métiers de l’ESR et rend-elle possible une carrière académique, ou dirige-t-elle fortement les docteur·es vers des carrières dans le secteur privé ? Répondre à toutes ces questions est cependant très malaisé, puisque les enquêtes permettant d’établir ces comparaisons n’existent pas à ce jour et que la convention Cifre recouvre des situations très diverses. Par ailleurs, le référentiel d’une recherche doctorale publique, financée et autonome qui servirait de base de comparaison pour juger des évolutions actuelles, est tout simplement loin d’avoir jamais constitué la norme concrète du milieu doctoral en SHS.

Revenir au doctorat comme métier permet d’interroger les activités d’apprentissage par le faire dans différentes conditions. Les doctorant·es sont en effet à la fois des scientifiques professionnel·les qui enquêtent, communiquent et publient, des étudiant·es qui sont socialisé·es aux métiers de la recherche mais bien souvent aussi des enseignant·es qui contribuent de manière déterminante au fonctionnement des formations, cursus, écoles et universités qui composent l’ESR. Nous souhaitons ainsi faire dialoguer des ensembles de littérature disjoints, notamment les travaux sur le travail de recherche et ceux sur le travail pédagogique. Nous pourrions également prendre en compte des approches par lieux, comme les enquêtes sur la fréquentation et les pratiques en bibliothèque des chercheur·ses. De plus, toutes ces activités peuvent se matérialiser d’une manière particulière dans chaque domaine et discipline. Peut-on identifier une particularité des SHS, où les doctorats sont plus longs et moins souvent financés qu’en sciences de la matière, et où les financements partenariaux et sur projets pourraient – ou non – entrer davantage en contradiction avec les usages professionnels et cultures épistémiques (Perrin-Joly, 2010, §36 ; Torka, 2018) ?

Nous invitons donc des communications qui interrogent :

  • Les définitions du métier produites par des configurations mettant en relation (1) les origines et dispositions des doctorant·es, (2) les activités concrètes réalisées pendant le doctorat (lecture, écriture, enseignement, participation à des colloques…) et les modalités de réalisation de ces activités (lieux, horaires, entourage…), (3) les modalités de financement et d’encadrement de la recherche.
  • La « culture de la souffrance » en doctorat, qui contraste avec la culture du sur-travail (Flécher 2021), est-elle spécifique à ce milieu ? Comment construire cette catégorie, comment l’objectiver empiriquement ? Les formes de souffrance en doctorat sont-elles assimilables à des formes de souffrance au travail telles qu’analysées en milieux professionnels ? Peut-on identifier des « passeur·ses » de cette catégorie, des conditions qui rendent possibles ou acceptables des situations d’humiliation et de harcèlement ? Comment cette catégorie se renouvelle-t-elle ou est-elle contrée par des actions individuelles ou collectives ?
  • Les “modes d’engagement” (Strauss, 1959) et “narratives” du doctorat : comment les doctorant·es pensent leur métier ? Quel sens y mettent-ils en fonction de leurs positionnements / caractéristiques sociales ? En quoi sont-ils différents d’autres professionnel·les de la recherche ? En quoi les suivre au cours de la carrière montre une dimension importante de la socialisation (Fochler, Felt, Müller, 2016) ?
  • La production d’enquêtes sur le doctorat : comment avoir accès aux enquêté·es, y compris celles et ceux qui sont sorti·es du milieu ? Comment avoir accès à des discours peu accessibles, par exemple de harcèlement ou d’autres pratiques inavouables, en particulier lorsqu’on fait partie du terrain ? Comment avoir accès aux données des institutions et les traiter ? Comment éviter la fatigue des doctorant·es à répondre aux enquêtes et comment enquêter auprès de personnes si familières de l’objectivation ? Quel rôle des relais locaux et des associations mobilisées, pour des enquêtes scientifiques et/ou militantes ? Enfin, quel partage des données, des matériaux, des résultats est possible et à imaginer ?

Axe 3. Encadrement(s), socialisation(s), évaluation(s)

Un dernier axe a pour objectif d’élargir la focale pour prendre en compte les différentes formes de contrainte, d’encadrement doctoral, de définition des attentes liés au doctorat, mais aussi de soutien ou d’orientation, de fourniture de ressources qui peuvent peser sur la production de la recherche doctorale et contraindre la socialisation aux métiers de la recherche. Que ce soient les directions de thèse, les écoles doctorales, les jurys de thèse, les laboratoires, le CNU ou encore les jurys de recrutement, ces institutions n’ont pas encore fait l’objet de recherches spécifiques qui auraient vocation à mettre au jour leur rôle dans la construction sociale d’un « bon doctorat », dans les formes d’évaluation mais aussi de reconnaissance du travail doctoral (à l’exception d’une enquête en cours sur l’encadrement des thèses, cf. Sigalo Santos et Lebrou, 2023, et des données recueillies à des fins d’évaluation, notamment par l’HCERES).

De plus, les évolutions du financement par projet et l’allongement de la période entre le doctorat et un recrutement stable amèneraient à penser les doctorant·es et docteur·es comme des quasi-chercheurs contractuels (Barrier 2011). Ceci entraîne notamment une participation accrue des doctorant·es à des collectifs de recherche et à l’organisation d’activités scientifiques collectives, dont les colloques ou conférences (Franssen et al. 2018). Par ailleurs, avec une réduction de la disponibilité des encadrant·es (Serre 2015), les formes de socialisation par les pairs semblent avoir acquis une importance nouvelle. Séminaires et ateliers doctoraux, associations et collectifs d’entraide doctorale, mais aussi associations et expériences militantes de l’ESR, par exemple, sont souvent analysées de manière isolée par rapport au reste de la carrière doctorale.

L’intégration à ces institutions et collectifs peut assurer l’acquisition non seulement de compétences objectives de recherche et d’enseignement, mais aussi d’une sorte de compétence subjective associée à la compréhension du fonctionnement et des normes du milieu de l’ESR. Les propositions de cet axe (lié aux deux précédents) permettront en particulier d’interroger les formes d’inégalités et de rapports de pouvoir dans la formation doctorale. Elles peuvent par exemple porter sur :

  • Les parcours d’entrée et de socialisation à l’ESR : quels modes de socialisation et d’affirmation d’identités de recherche (socialisation dès le master, apprentissage des règles du recrutement, intégration des hiérarchies, constitution de soutiens, constitution d’attentes et de projections subjectives…) ?
  • Les pratiques d’encadrement. Quel pouvoir détiennent les directions de thèse sur la conduite des recherches doctorales et les conditions d’emploi des doctorant·es ? Quelles autres instances entrent dans l’encadrement doctoral, et avec quelle importance relative ? Quels conflits d’encadrement (DTs, tuteur·rices, ED…) ? Est-ce que les ancien·nes Cifre encadrent différemment ?
  • Le rôle spécifique des institutions et collectifs de socialisation dans les ruptures et sorties de thèse (par rapport à d’autres variables) ? Pourquoi arrête-t-on une thèse, ou pourquoi sort-on de l’ESR (au moment des concours, par exemple) ? On pourrait penser le doctorat et le post-doctorat comme une carrière et adopter une approche en termes d’exit, voice ou loyalty (Hirschman, 1970). Cette approche suppose de ne pas opposer les thèses terminées aux thèses arrêtées, mais de les étudier ensemble pour voir comment les difficultés rencontrées (harcèlement, écriture, isolement, précarité…) peuvent avoir des effets différents selon les contextes. Comment la “résistance” s’articule-t-elle à des dispositions et à des marges de manœuvre inégales des doctorant·es et docteur·es ? Quels effets de l’hypo- mais aussi de l’hyper-socialisation ?
  • En quoi les institutions et collectifs reproduisent-ils ou au contraire protègent-ils des discriminations de genre, de race, de classe ? Comment sont définies et prises en charge les inégalités et les violences dans l’ESR ? Quelles initiatives sont mises en œuvre pour lutter contre les discriminations, et quelle efficacité ont-elles ? Dans quelle mesure les évolutions des conditions de réalisation des doctorats, et en particulier la participation accrue des doctorant·es à des événements, créent-elles de nouvelles vulnérabilités à des agressions ? Comment objectiver des “cultures” oppressives et inégalitaires dans l’ESR ?
  • A quoi servent les enquêtes “militantes” ? Les témoignages et enquêtes locales semblent avoir une fonction essentielle de diffusion des pratiques, de discussion, de reconnaissance des enjeux et parfois même d’action pour améliorer les conditions de travail. Comment ces matériaux sont-ils mobilisés ? Donner à voir les logiques de recrutement (sur-publications, difficulté d’objectiver les critères de recrutement, sur-sélection) à l’échelle d’une discipline permet-il de les combattre, ou au contraire de les renforcer ? Faut-il analyser les “gagnants” ou les “perdants” ? Quelle est la réception des enquêtes par leurs différents publics ? Sont-elles mobilisées ensuite dans des recherches académiques ?
  • Plus largement, quelle est la place des milieux militants, de l’expérience militante dans la socialisation à l’ESR ? Qu’est-ce qui explique l’entrée dans une démarche militante, qu’est-ce qui rend possible l’insubordination ? Qu’est-ce qui explique la mobilisation, son maintien, son succès ?
  • Comment évalue-t-on la qualité des doctorats, à différentes échelles ? Quel est le rôle des classements et de la mise en nombres de la productivité doctorale ? Quel est le rôle des prix de thèse et autres concours individualisant la pratique de la recherche ? Quelle place enfin des “guides” pour apprendre à être un·e “bon·ne” chercheur·se ?

Modalités de soumission :

Nous proposons deux modalités de participation : une communication, et/ou un poster. Les propositions sont attendues avant le 8 novembre 2024 inclus à l’adresse contact@concordshs.eu.

Proposer une communication

Les auteurs et autrices sont invité·s à soumettre leurs propositions de communications sous la forme d’un texte de 4000 signes maximum (espaces compris, bibliographie non-comprise). Les communications pourront se faire en français ou en anglais, merci d’indiquer votre préférence au moment de la soumission. Les propositions peuvent s’inscrire dans l’un des axes identifiés dans cet appel, mais peuvent aussi en sortir.

Les propositions doivent comprendre un titre et faire clairement apparaître la question de recherche, les méthodes et le terrain d’enquête, ainsi que les résultats. Nous privilégierons les enquêtes comparatives (disciplines, financements…) et les propositions montrant une réflexivité sur les sources de données utilisées, et tenterons de choisir des contributions provenant de disciplines variées.

Les candidat·es retenu·es devront envoyer en amont du colloque une version écrite de leur communication. Des actes du colloque pourront être produits : leur forme reste à déterminer.

Proposer un poster

Le projet Concord-SHS a été lancé à la suite du constat que les enquêtes sur le doctorat sont peu visibles et difficiles à mener notamment car elles sont souvent réalisées de manière volontaire, comme un “à-côté” de l’activité de recherche principale. Le recensement et la mise en commun des travaux est un objectif du colloque, mais nous souhaitons également identifier des projets de recherche en cours de développement et qui pourraient bénéficier d’un financement si Concord-SHS est poursuivi pour une 2e phase.

Nous encourageons donc les personnes qui le souhaitent à proposer un “poster”, c’est-à-dire un projet de recherche qui sera présenté lors du colloque sous la forme d’une affiche. Les propositions de poster doivent tenir sur une page et clairement faire apparaître :

  •  L’objet/ thème de recherche (conditions de travail, trajectoires/ devenirs, etc.) ;
  •  Les premières questions de recherche ;
  • La manière de circonscrire le(s) terrain(s) : par ex. enquête par discipline, par type de financement, par thématiques de recherche doctorale (enseignement, santé, politique, entreprise…), par statut (doctorant·e, docteur·e, encadrant·e, etc.) ou sociologie des institutions de socialisation à la recherche et de leurs acteur·es (école doctorale, collège doctoral, laboratoire, direction de thèse);
  • La ou les méthodes envisagées (archives, questionnaires, observations, entretiens, méthodes numériques…) ;
  •  La dimension comparative du projet (y compris internationale), si cela est pertinent ;
  • Une estimation des moyens nécessaires en fonction de la forme du projet (temps humain de recherche/ de gestion) et éventuellement des idées de financements, partenariats ou collaborations si cela est applicable.

Bibliographie indicative

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ANRT, 2017. Les dispositifs Cifre. Esprit scientifique, esprit d’entreprise, https://www.anrt.asso.fr/sites/default/files/presentation_cifre_2017_2.pdf

ANRT, 2012. Enquête sur le devenir professionnel des docteurs ayant bénéficié du dispositif Cifre l’année 2000, https://www.anrt.asso.fr/sites/default/files/enquete-devenir-professionnel-docteurs-cifre.pdf

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